Onde-Corpuscule : Au-delà de Notre Intuition Macroscopique


Ce sujet est un défi en soi, car il est l’un des piliers de la mécanique quantique et marque la limite de notre représentation.

Pour réussir à le comprendre, il faut accepter au départ que nous échouons à nous représenter visuellement qu’une particule puisse en même temps être une onde et un corpuscule. Rien de surprenant, nous évoluons dans un monde macroscopique alors que les particules existent dans un monde microscopique, et dans ce monde, rien ne ressemble au nôtre. L’autre raison qui explique la difficulté à comprendre ce concept repose sur la façon dont les sciences nous sont enseignées. L’on utilise souvent la description corpusculaire (petite bille) pour expliquer comment est et se comporte une particule. La lumière, comme nous le verrons, n’est ni une sorte de nuage ni l’alternance entre onde et corpuscule, mais bel et bien les deux à la fois. Comme un cylindre, vu de face il représente un rectangle, mais vu de profil un cercle ; il est les deux à la fois en fonction de l’endroit où on se situe.
Notre esprit, et c’est dans les domaines quotidien un atout, utilise souvent une représentation mentale des choses, pour comprendre, imaginer, apprendre… Mais dans le monde microscopique du quantique, fondamentalement différent du nôtre tout en le constituant, nous devons utiliser notre esprit autrement.

Plongeons maintenant dans l’histoire scientifique amenant à cette découverte majeure de la compréhension du monde qui nous entoure.

La Dualité Onde-Corpuscule : Une Révolution dans Notre Compréhension de la Matière et de l’Énergie

La dualité onde-corpuscule représente l’un des piliers fondamentaux de la mécanique quantique, bouleversant notre conception classique de la matière et de la lumière. Ce concept établit qu’une entité physique (pas seulement la lumière, mais aussi les particules massives) peut manifester simultanément des propriétés caractéristiques des ondes et des particules, une idée qui défie notre intuition macroscopique. Il est crucial de noter que cette « dualité » n’implique pas une alternance, mais une coexistence intrinsèque de ces propriétés. La manifestation de l’une ou l’autre dépend du type d’expérience menée.

Origines Historiques

500 ans avant JC, le débat était déjà intense entre Démocrite l’atomiste, pensant que la lumière comme le reste n’était que atome, petite bille, et Héraclite pour qui tout était changement (on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve). Mais il est plutôt d’usage de faire commencer l’histoire de la nature de la lumière au XVIIe siècle avec Isaac Newton qui défendait une théorie corpusculaire de la lumière, la considérant comme un flux de particules. Cependant, au début du XIXe siècle, les expériences de Thomas Young, notamment celle des fentes doubles, ont démontré de manière convaincante le caractère ondulatoire de la lumière à travers les phénomènes d’interférence et de diffraction. Il est important de préciser que ces interférences sont constructives et destructives, créant des zones de renforcement et d’annulation de l’intensité lumineuse.

L’expérience de Young fait appel à un rayon laser dirigé au centre de 2 fentes percées sur une plaque. De l’autre côté de la plaque est placé un écran (une feuille de papier photosensible par exemple) pour observer le résultat. La clé est que même en envoyant les photons un par un, la figure d’interférence apparaît toujours avec le temps, suggérant que chaque photon interfère avec lui-même.

La Révolution Quantique

Le tournant majeur survient en 1905 lorsque Albert Einstein propose, en se basant sur les travaux de Max Planck et le rayonnement du corps noir, que la lumière soit constituée de quanta d’énergie discrets (plus tard appelés photons). Il nomma cela l’effet photoélectrique. Cette découverte lui vaudra le prix Nobel et marquera le début de la révolution quantique. Et non pour la théorie de la relativité restreinte ou générale comme on l’entend parfois. Einstein démontre ainsi que la lumière, jusqu’alors considérée comme une onde électromagnétique pure selon Maxwell, peut aussi se comporter comme un flux de particules. L’effet photoélectrique a montré que l’énergie des photons est quantifiée et dépend de la fréquence de la lumière, pas de son intensité, contredisant la physique classique.

La Contribution de Louis de Broglie

Louis de Broglie (source WIKIPEDIA)

En 1924, Louis de Broglie étend ce concept aux particules de matière en proposant sa célèbre relation :

λ = h/p

où λ est la longueur d’onde associée à la particule, h la constante de Planck, et p la quantité de mouvement de la particule.

Cette hypothèse audacieuse suggère que toute particule matérielle possède une onde associée, dont la longueur d’onde est inversement proportionnelle à sa quantité de mouvement. Cette onde associée n’est pas une onde « réelle » au sens classique, mais plutôt une onde de probabilité, décrite par une fonction d’onde.

Son intuition de penser que les électrons se comportent comme la lumière et par extension toutes particules en ayant une nature double onde/corpuscule lui valu le prix Nobel de physique en 1929.

Validation Expérimentale

La validation expérimentale de cette théorie arrive en 1927 avec l’expérience de Davisson et Germer, qui observent la diffraction d’électrons par un cristal de nickel. Cette expérience démontre que les électrons, considérés jusqu’alors comme de simples particules, peuvent manifester des comportements ondulatoires. La diffraction des électrons par le cristal a créé des motifs d’interférence similaires à ceux observés avec la lumière, confirmant la nature ondulatoire de la matière.

Le Principe de Complémentarité

Niels Bohr (source Wikipédia)

Niels Bohr introduit le principe de complémentarité pour réconcilier ces aspects apparemment contradictoires. Selon ce principe, les aspects ondulatoire et corpusculaire sont complémentaires : une expérience donnée peut révéler soit l’un, soit l’autre aspect, mais jamais les deux simultanément. Il est crucial de comprendre que ce n’est pas une limitation de nos instruments, mais une propriété fondamentale de la nature.

Applications Modernes

Cette dualité n’est pas qu’une curiosité théorique ; elle a des applications pratiques importantes:

  1. Les Lasers exploitent les propriétés ondulatoires de la lumière pour produire une radiation cohérente et monochromatique. Cette technologie est utilisée dans divers domaines, y compris la médecine (chirurgie laser) et les télécommunications. La cohérence de la lumière laser est directement liée à la nature ondulatoire et à l’émission stimulée.
  2. Microscopie électronique : utilisant la nature ondulatoire des électrons pour obtenir des images à résolution atomique. La longueur d’onde plus courte des électrons par rapport à la lumière visible permet d’obtenir une résolution plus élevée.
  3. Transistors et semi-conducteurs : leur fonctionnement repose sur la nature quantique des électrons. L’effet tunnel, un phénomène purement quantique, est essentiel au fonctionnement de nombreux dispositifs semi-conducteurs.
  4. Cryptographie quantique : exploitant les propriétés quantiques pour une transmission sécurisée d’informations. La sécurité de la cryptographie quantique repose sur les lois de la mécanique quantique, notamment le principe d’incertitude.
  5. Ordinateurs Quantiques: exploitent la superposition et l’intrication quantique pour effectuer des calculs complexes qui sont impossibles pour les ordinateurs classiques.

Implications Philosophiques

La dualité onde-corpuscule soulève des questions philosophiques profondes sur la nature de la réalité. Elle remet en question notre conception classique du déterminisme et suggère que la nature est fondamentalement probabiliste au niveau quantique. Cela signifie que l’on ne peut prédire avec certitude le résultat d’une mesure, mais seulement la probabilité de chaque résultat possible.

Richard Feynman ou encore Albert Einstein pensaient qu’il manquait peut-être des données sur une connaissance globale de la dualité afin de ne pas la concevoir comme une probabilité de l’un ou l’autre. Il existe peut-être une quantité déterminée d’onde et de corpuscule qui correspond à un équilibre harmonieux de l’univers et qui oscille de l’un à l’autre en fonction du nombre global. Bien qu’il n’y ait aucune preuve d’un tel « équilibre », l’idée souligne l’insatisfaction persistante avec l’interprétation probabiliste de la mécanique quantique.

Le Problème de la Mesure et l’Interprétation de Copenhague

L’interprétation de Copenhague, développée principalement par Bohr et Heisenberg, propose que :

  • L’état quantique d’un système est décrit par une fonction d’onde.
  • L’acte de mesure « effondre » la fonction d’onde dans un état défini.
  • Avant la mesure, le système existe dans une superposition d’états. Cela signifie qu’il est dans une combinaison de tous les états possibles simultanément jusqu’à ce qu’une mesure force le système à « choisir » un seul état.

Cependant, l’interprétation de Copenhague ne résout pas le problème de la mesure : comment et pourquoi une mesure provoque-t-elle l’effondrement de la fonction d’onde ? C’est une question qui reste débattue.

Nous reviendrons sur l’interprétation de Copenhague et la réponse d’Einstein, Podolsky et Rosen dans ce célèbre moment de l’histoire de la physique que représente l’article EPR, sujet qui passionnait les scientifiques mais aussi le grand public de l’époque. L’article EPR a soulevé la question de la complétude de la mécanique quantique, arguant qu’elle ne pouvait pas décrire tous les éléments de la réalité physique.

Au-delà de Copenhague : Autres Interprétations

Il est important de noter que l’interprétation de Copenhague n’est pas la seule. D’autres interprétations existent, comme :

  • L’interprétation des mondes multiples (Everett): Chaque mesure provoque une division de l’univers en plusieurs branches, chacune correspondant à un résultat possible.
  • La théorie de l’onde pilote (de Broglie-Bohm): Les particules sont guidées par des ondes « réelles », résolvant le problème de l’effondrement de la fonction d’onde.

Conclusion

La dualité onde-corpuscule reste l’un des aspects les plus intrigants de la physique quantique. Elle nous rappelle que la nature est plus subtile et complexe que nos intuitions classiques ne le suggèrent. Cette dualité fondamentale continue d’inspirer de nouvelles recherches et applications technologiques, tout en soulevant des questions profondes sur la nature de la réalité physique.

Ce concept illustre parfaitement comment la physique quantique a transformé notre compréhension du monde microscopique, nous obligeant à abandonner certaines de nos conceptions classiques pour adopter une vision plus nuancée et probabiliste de la réalité et ouvre la voie à un nouveau monde.

La mécanique quantique, avec sa dualité onde-corpuscule, nous invite à repenser les fondements de notre compréhension de l’univers et à accepter que la réalité peut être bien plus étrange et merveilleuse que nous ne l’imaginions.

Sources principales :

  • -”Richard Feynman” cours de physique édition DUNOD
  • « Quantum Physics » de Stephen Gasiorowicz
  • « Introduction to Quantum Mechanics » de David J. Griffiths
  • Archives de la Fondation Louis de Broglie
  • Publications de l’American Physical Society sur les expériences historiques
  • Travaux de recherche de l’Institut Niels Bohr
  • Wikipédia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Fentes_de_Young


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